
GRISOR
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas
Comment et pourquoi vouloir faire tenir une pierre peinte en équilibre sur le fil d’une lame de métal ? Il me semble entrevoir dans ce dispositif l’essence même du travail de Dominic Grisor. Tout dans celui-ci est, en effet, recherche d’équilibre. Ici dans un arrangement aussi instable qu’improbable ; ailleurs entre ligne et surface, relief et plan ou figuration et abstraction.
Comment faire tenir ? N’ai-je pas souvent entendu l’artiste dire, en considérant tel ou tel de ses travaux : « ça tient ! » Expression assez usuelle chez les plasticiens, mais qui prend chez lui une valeur toute particulière. Car il s’agit bien de cela : faire tenir ensemble. Formes et couleurs dans l’espace d’abord, par une sorte de jeu savant et magnifique. Ou encore signes et choses dans la recherche de subtiles correspondances symboliques.
Et pourquoi vouloir « faire tenir » ? Parce qu’il y a, me semble-t-il, dans le travail de Dominic Grisor la quête obstinée de relations, de combinaisons qui pourraient dévoiler un peu de la structure profonde du monde. Ainsi, « faire tenir » reviendrait pour lui à s’accorder à un ordre mystérieux de l’univers dont il tirerait le secret de l’exercice d’une vision. Enfin, vouloir « faire tenir » car, au-delà de ses seules images, il en irait aussi du maintien d’une certaine ordonnance des choses, empêchant ainsi que le monde ne se défasse.
Dominique Tourte






Re-combiner le quotidien
Il est assez banal de considérer que, depuis que l’individualisme est devenu la valeur centrale de la conscience moderne, l’art ne peut être qu’une pratique singulière – en relation privilégiée avec la seule singularité de son auteur. Il risque donc en permanence de se développer sans aucune communication avec le corps social, ou plus modestement avec autrui. Il y a là, pour l’artiste, un risque de solipsisme absolu ou de satisfaction strictement tautologique, qui ne peut que se confirmer au cours du déploiement de la modernité et de l’extinction des discours collectifs qui l’accompagnent : je fais de l’art qui est de l’art à propos de l’art. L’affirmation de l’autonomie de l’art a pour envers la solitude de l’artiste ; plus il accorde à sa pratique une valeur absolue, plus il risque de devoir répéter avec Flaubert : « Je me jetterais à l’eau pour sauver un beau vers ou une belle phrase, de n’importe qui. Mais je ne peux croire que l’humanité ait besoin de moi, pas plus que je n’ai besoin d’elle. » La question que dois dès lors résoudre un artiste, moderne ou « postmoderne », et même s’il ne se la pose pas en toute lucidité, l’important est que son travail réponde en un sens à sa place, concerne le repérage de points communs sur lesquels prendre appui pour établir une communication avec les autres, pour échapper au solipsisme et à la tautologie, alors que se sont effondrés aussi bien les grands idéaux d’autrefois (la religion, le service de l’État) que les valeurs communes incontestables.
La solution mise au point par Grisor dans la décennie dont il est question, qui donnera ensuite naissance, au long de sa trajectoire, à des variantes non négligeables, consiste à utiliser (à prendre appui sur) des images à la portée de tout le monde, que chacun puisse reconnaître (sinon nommer) au moins partiellement. Non pour banalement les reproduire en les simplifiant (comme l’a fait le pop art américain – mais Grisor commence à intervenir alors que le pop est déjà passé, en train de s’inscrire dans l’histoire de l’art moderne que peut-être il achève), mais pour n’en conserver éventuellement que des fragments qu’il réarticule à sa manière. Ses propositions sont en conséquence à la fois séduisantes (chacun peut y retrouver des éléments « connus » ou déjà expérimentés) et déroutantes (ces mêmes éléments semblent bien produire du sens – comme des phrases si l’on admet que la répétition des objets et morceaux de « nature » constitue une sorte de vocabulaire – qui reste parfaitement énigmatique). En d’autres termes, c’est aussi en raison de la portée métonymique de chaque élément que sa coexistence avec les autres est implicitement problématique : si un cactus désigne la possibilité d’un désert alors qu’un store vénitien renvoie à la ville, comment résoudre la contradiction que propose leur juxtaposition sur une toile ?
C’est dans les articulations entre ces éléments, dans l’addition de leurs significations partielles et dans le « montage » qui les fait coexister beaucoup plus que dans leur description – bien qu’elle soit la plus minutieuse possible – que s’affirme la conscience singulière de l’individu Grisor. C’est là que se marque la façon dont elle se distingue des autres consciences du moment, mais cette singularité est d’autant mieux acceptée (elle risque d’autant moins d’être renvoyée vers le solipsisme) qu’elle circule en quelque sorte en fraude, derrière les objets du monde que le regardeur a pu connaître.
Gérard Durozoi






CV
Né en 1947.
Vit et travaille à Lille.
EXPOSITIONS PERSONNELLES (sélection)
2015
Galerie Bacqueville, Lille
2014
4 à 4, Musée Paul Valéry, Sète
2013
Lille Art Fair, Galerie A. Delerive
2010
Galerie A. Delerive, Lille
2008
Galerie Régis Dorval, Lille
2006
École Régionale Supérieure d'Expression Plastique, Tourcoing
2005
Dodeigne-Grisor, Foire Européenne Strasbourg
Galerie Régis Dorval, Lille
2003
Piet Blanckaert Gallery, Bruges (BE)
J&M Davidson Gallery, Londres (UK)
Telindus-Ostende (BE)
2002
Médiathèque Marguerite Yourcenar, Faches-Thumesnil
Galerie A. Delerive, Lille
2000
Galerie de l'Atelier 2, Villeneuve d'Ascq
1996
Opsis Art Gallery, Ostduinkerke (BE)
Médiathèque de Trith-Saint-Léger
1994
Espace Techno, Paris
1993
S.A.G.A Grand Palais Paris, éditions Images du temps
École Supérieure d'Arts Plastiques, Valenciennes
1992
Espace Techno, Paris
Espace Le Carré, Lille
Galerie Étienne de Causans
1990
Galerie Jacqueline Moussion, Paris
1989
Galerie Jacqueline Moussion, Paris
1988
Musée de la Chartreuse, Douai
1984
Musée d'Art Moderne, Villeneuve d'Ascq
1982
FIAC Grand Palais, Galerie Etienne de Causans, Paris
Abbaye de Saint-Riquier
1981
Formes Internationales, Lille
1980
Galerie Étienne de Causans, Paris
1975
Galerie Lithos, Mouscron (BE)
Galerie Jacqueline Store, Lille
EXPOSITIONS COLLECTIVES (sélection)
2015
Paradis perdu, Frac GRAND-LARGE, Dunkerque
Off-Course Brussel Art Fair, Galerie Bacqueville
2012
Galerie Danse Lefévére, Imprimerie Campoi, Tournai (BE)
2010
Valeurs sûres, Galerie Régis Dorval, Lille
Bernard Guerbadot et compagnie..., Galerie Une poussière dans l'oeil, Villeneuve d'Ascq
2008
Atelier de la Monnaie, Musée des Beaux-Arts, Lille
Atelier Jean Ferlicot, École Régionale Supérieure d'Arts Plastiques, Tourcoing
2001
Rome, Les Artistes de la fondation Wicar, Musée de l'Hospice Comtesse, Lille
1994
Faculté de médecine CHR, Lille
1993
7 + 15, Galerie Empreinte, Arras
1989
Profils d'une collection, LaM Musée d'Art Moderne, Villeneuve d'Ascq
Médias audiovisuels, Galerie des Ponchettes, Nice
1987
Carte blanche, Centre Georges Pompidou, Paris
1985
FRAC Grand Large, Dunkerque
1983
Zone N, Centre culturel Saint-Gratien
Des images d'aujourd'hui, Niort
1982
De Matisse à nos jours, Musées des Beaux-Arts, Lille
1981
Nouvelle figuration 3, Mulhouse
1980
Salon international d'art
Musée des Beaux-Arts, Toulon
1979
Les uns par les autres, Musée des Beaux-Arts, Lille
1978
Prix Europe de peinture Kursaal, Ostende (BE)
Tours multiple 78, Musée des Beaux-Arts, Tours
Les métaréalistes, Galerie Bellint, Paris
Réel, Réalisme, Réalité, Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue
Galerie Étienne de Causans, Paris
1977
Joli mois de mai, Galerie Jacqueline Storme, Lille
1976
Grands et jeunes d'aujourd'hui, Grand Palais, Paris
COLLECTIONS
Banque Mondiale Washington
FRAC Nord - Pas de Calais
LaM - Lille Métropole Musée d'art moderne,
d'art contemporain et d'art brut -Villeneuve-d'Ascq
Banque Edmond de Rothschild, Paris
Banque Populaire du Nord
Trois Suisses International
Ambassade du Brésil, Paris
Ville de Lille
Les Amis du Centre Georges-Pompidou,
Beaubourg, Paris
Conseil Général du Nord
Musée d'Art moderne et d'Art contemporain, Nice
Musée de l'Estampe, Gravelines
Bibliothèque nationale de France, Paris
Nombreuses collections particulières en France, en Europe, aux États-Unis