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MALIK MARA

Né en 1995.
Vit et travaille à Lille.

À travers une pratique protéiforme, Malik Mara propose une lecture sensible du monde contemporain à partir de ses expériences personnelles. Souvent pensées comme des poèmes plastiques, les œuvres de Malik Mara sont autant d’invitations à questionner le monde qui nous entoure et ses singularités. De déchets dérivant lentement à la surface de l’eau à des coraux qui blanchissent inéluctablement, en passant par des châteaux de goudrons s’effondrant sur eux-mêmes, ses installations sont des odes au temps qui passe et aux vestiges qu’il laisse sur son passage.

Image : Dérive, 2020. Vidéo couleur, 5'

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Un regard rapide et distrait sur le travail de Malik Mara le réduirait à une simple et rebattue « alchimie des contraires » ; à une malicieuse et habile juxtaposition de formes, matières, symboles a priori opposés -surtout en leurs états respectifs : le dégradé et l’efflorescent, le durable et le fugace, le proche et l’éloigné, le trivial et le sublime. 
 
L’on pourrait juger heureux bien que grinçants ces oxymores plasticiens que ne renierait pas un Bertrand Lavier : ce
château coulé non dans le sable léger d’un rivage de « vacances » mais dans un goudron âcre et gluant d’urbanité, cette morsure pyromane au flanc d’une poubelle qu’« après les cendres » suture voire déborde une pimpante et inattendue floraison, ces chaînes rouillées qu’« avec patience » retient et dévore tout à la fois le pullulement pourpré d’une mauvaise herbe, cette familière injonction à l’économie d’énergie crânement néonisée et suralimentée alors même qu’« on n’est pas à Versailles ici » pourraient s’en tenir à cette joueuse poétique du décalage, ni trop dirigée pour paraître improbable (donc insignifiante), ni trop hasardeuse pour ne pas créer de sens. Du sens, aucun doute que chacune de ces œuvres en recèle, ne serait-ce que parce qu’elles sont le fruit d’un contexte : résidence, collaboration, expérimentation, souvenir, anecdote, éventuellement fait divers. Pourtant, au-delà des circonstances qui en expliquent la genèse et le propos mais ne suffiraient pas à en épuiser toute la signification, il se pourrait qu’elles partagent, dans la logique antagonique qui les sous-tend, un sens plus profond, latent, indicible - vraisemblablement parce qu’elles ont trait à ce que l’artiste revendique lui-même comme un thème central : le temps. Sans cesse Malik Mara semble vouloir le guetter, le scruter, l’approcher, le toucher, le manipuler finalement dans et parmi les contextes variés qui nous le font ressentir. 

 
Dès lors, les objets, images et matériaux qu’il combine, parfois en compagnie de tiers, emprunteraient plutôt, chez ses contemporains, aux ready-mades historico-intimes de Danh Vo ou aux assemblages nostalgiques et prosaïques de Stéphanie Saadé. Car le temps qu’il recherche, effleure, agrège n’a rien de métaphorique, ni par conséquent de vertigineux : c’est le temps manifeste, celui que l’on aperçoit dans les détours imprévus du quotidien comme au creux de nos habitudes les plus mondaines, à la surface de bibelots dont on ne se soucie jamais vraiment sans du moins les oublier, ou à l’angle des visages que l’on aime et suit le long des ans ; cependant, c’est aussi le temps concret du monde, des saisons et des éléments. C’est le temps qu’il reste avant la marée haute de tout-à-l’heure et l’anéantissement, en quelques vagues, de la fragile construction que les enfants ont abandonnée pour une baignade ou d’autres jeux, mêlé en un hâtif moulage à celui qui, d’ici plusieurs décennies, aura rendu nécessaire la réfection de la route, usée par l’incessant va-et-vient automobilistique ou par les à-coups des gels hivernaux et des canicules estivales. C’est le temps, lent et imperceptible même à l’œil le plus attentif, recommencé chaque printemps, de l’éclosion du bourgeon puis de l’épanouissement de la fleur et enfin de son flétrissement, venu compenser celui, vif, hâté, de la flamme qui vient de trouver son combustible et déjà paraît l’avoir réduit à la plaie qu’y dessinent ses volutes. Temps travaillé, décliné, confronté. Temps palpable, mais pas moins fuyant - et, pour nous, fini : les fleurs se fanent, le soleil se couche, l’eau emporte brindilles et « pensées noires », on éteint la lumière. Assez tôt vient à l’esprit le mono no aware, sentiment que le Japon médiéval décela en la beauté terrible quoiqu’attachante de l’impermanence des choses dont nous sommes. 
 
Les œuvres que Malik Mara nous soumet n’en sont que plus précieuses, qui en confrontant des temporalités toutes différentes mais toutes fatalement définies en ouvrent une autre, laquelle transcende l’enjeu purement formel et spatial de l’oeuvre d’art elle-même. Celle, ouverte et malléable, d’une méditation sur l’état d’un monde voué, selon la formule du sociologue et philosophe Hartmut Rosa, à une « accélération » technique et sociale contaminant le rythme de nos vies, condamnées à un temps « pétrifié » par la vaine précipitation à absorber cette fausse abondance que nous promettent idoles virtuelles et algorithmes clos. Un monde dont la vulnérabilité et l’instabilité relèvent à présent de l’inéluctable, et où nos heures ne sont guère seules à être amenuisées. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un hasard si, par une quasi métonymie, deux des pièces ici présentées sont de sable et de feu : sablier et chandelle de l’opposition formulée par Gaston Bachelard dans La Dialectique de la durée entre le temps « horizontal », commun, contextuel et pragmatique, que « vivent » pour nous montres et horloges ; et le temps « vertical », particulier, discontinu et subjectif, que nous ressentons au gré de l’instant. De l’un à l’autre, du temps linéaire et rationnel prompt à l’accélération au temps que nos existences fragmentent et éprouvent, il y a probablement autant qu’entre les simples courts-circuits si formels que paraissent être les propositions de Malik Mara et les subtils tissages chronologiques qu’elles finissent par nous révéler. 
 
« La flamme est un sablier qui coule vers le haut. […] Flamme et sablier, dans la méditation paisible, expriment la communion du temps léger et du temps lourd. […] J’aimerais rêver au temps, à la durée qui s’écoule et à la durée qui s’envole, si je pouvais réunir en ma cellule imaginaire la chandelle et le sablier », écrivait encore Bachelard dans La Flamme d’une chandelle. Dans le continuum visuel paradoxalement engendré par ces temporalités contradictoires dont elles sont faites, les œuvres de Malik Mara pourraient l’exaucer. Parce qu’elles ramènent le spectateur à l’inévitable concrétude du temps (que l’on peut croire devenu matériau de prédilection de l’artiste), quelle que soit l’expérience qu’il en fasse par ou malgré elles ; mais également parce qu’elles le réveillent à ce que le sablier de notre époque dissimule de nos flammes intérieures. Pour Bachelard, ce qu’une vision chiffrée, comptable du monde n’en dit pas - la vie, le rêve -, c’est précisément ce qu’elle en estompe et amoindrit. C’est là que s’avère la vocation profonde de ces sortes de collages temporels dont toute œuvre de Malik Mara se fait le liant : dans la mise en exergue des paradoxes de « notre temps » éreinté où se mêlent croyances obstinées et doutes harassants, utopies constamment renouvelées et échecs irrésolus. Où tout le monde n’accélère pas à une semblable allure. Où le plus proche ailleurs tenacement demeure lointain et inconnu à certains, en dépit des trains à grande vitesse, des vols low-cost et de l’hyperconnectivité des écrans. Où la nature devient étrangère y compris à ceux qui désormais s’y servent davantage qu’ils ne la cultivent. Où nous agaçons avec fusées et satellites l’immensité des galaxies, sans pour autant savoir opposer à notre propre finitude autre chose que de jolis bouquets vite dépéris.
 
À travers ce temps renversé, affolé, aliéné, persiste toutefois la possibilité d’un enchantement. Celui que nous procurera le temps retrouvé de nos pensées et, pourquoi pas, de nos émotions, le temps d’un rêve de plage à même ces routes qui n’y mènent pas ; d’anthèse gracieuse encouragée moins par la magie des beaux jours que par la chimie phytosanitaire ; de résurrection secrète sur le marbre blême de tombes délaissées. Pourvu que ces œuvres durent, dans nos yeux et esprits, davantage qu’un instant empressé.

Nicolas Valains

Image ci-dessus : L'Échappée, 2019. Glaçon 15 x 25 x 15 cm et ballons.

CV

Né en 1995.

Vit et travaille à Lille. 

​FORMATION

2019

Master 2 Exposition/production des œuvres d’art contemporain, Université de Lille

2018

DNSEP, École supérieure d’art du Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque/Tourcoing

Master 1 Exposition/production des œuvres d’art contemporain, Université de Lille

2015-2018

DNA, École supérieure d’art du Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque/Tourcoing

EXPOSITIONS COLLECTIVES / GROUP SHOWS

2022

Court-circuit, Deûlémont, France

L'Eau et les rêves, Château d'Esquelbecq, France

Dystopia, Galerie Bacqueville, Lille, France

2021 

Biennale de la jeune création contemporaine (avec Julie Gaubert), Motoco, Mulhouse, France

D’Argile à deux barres d’or
Restitution de résidence Dimensions variables, Pradelles-en-Val, France


2020 

L’Accueil froid, L’Accueil froid, Amiens, France


2019 

Air Fictions, particules en suspension, Galerie Commune, Tourcoing, France


2018 

Collisions, Espace Croisé, centre d’art contemporain, Roubaix, France


2017 

Skate or die muséographie, La maison des ensembles, Paris, France

Inquiétante étrangeté, Espace 36 BIS, Tourcoing, France


2016 

Expoflash, Galerie Commune, Tourcoing, France


2015 

Le Parasitisme de couvée - Restitution de workshop avec le département sculpture de l’École La Cambre, Centre culturel de Sartène, Corse

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